Monologue de la fatalité
Monologue crée pour l’exposition I comme Icare.
Un marcheur nous chuchote son histoire. Il est le pèlerin, il est Icare. Parti en quête il s’est retrouvé face à la Chute inéluctable. Inspiré par les pyramides fatales de Constantin Brancusi, ce texte se construit dans ce même mouvement cyclique, entre recherche et déchéance. Il nous présente cet homme errant, marchant puis tombant, toujours désireux de recommencer, d’arriver à la fin de sa quête : réussir à atteindre la lumière.
Monologue de la fatalité
« Je suis la voix d’un corps parti sur les chemins menant vers la grâce. Enfermé et décharné, je ne peux aujourd’hui que me souvenir. Je suis passé de la lumière à l’enfoncement dans la noirceur de la terre. La douleur de ma chute est à la hauteur de l’espérance mise dans chacun de mes pas. Mon corps désormais happé dans les profondeurs n’est plus celui courant à la poursuite de la lumière irradiante. La lourdeur de mes membres, est loin de ma première errance, de ce corps qui encore vivant, m’emmenait parcourir le monde.
Partir, ce mot qui me revenait sans cesse en tête. Quitter le malaise qui me hantait depuis tant de temps, quitter mon foyer pour devenir cet être nomade épris de liberté. C’est ce désir qui m’a poussé à errer sur les chemins, à aller à la rencontre de la vie pour l’entendre se dérouler autour de moi. Les animaux, leurs souffles et leurs cris m’accompagnaient dans cette avancée joyeuse. En ce temps, mon voyage était paisible, j’ai traversé plaines et villages, à la rencontre de la nature, entrainé par la légèreté de mon corps, la gaieté de mon âme.
Je peux encore vous conter ces couleurs, ces odeurs, ces sons qui se mêlaient à ma respiration, qui me rendaient de plus en plus vivant. Le vent poussant mon corps sur ce parcours me rendait de plus en plus léger, et je sentais les herbes folles ondulantes et verdoyantes se plier sous chacun de mes pas. L’avancée était facile, guidé par chacun de mes sens, je commençais à ne faire qu’un avec le paysage qui défilait devant mon regard. L’horizon lointain et les plaines à perte de vue me poussaient à toujours avancer pour voir ce qui m’attendait plus loin, au détour d’un sentier que j’arpenterai bientôt.
Mais c’est à partir de ce moment-là, qu’entendre, sentir, respirer, tous ces gestes inconscients me sont apparus insuffisant. Parti sans but, je suis peu à peu devenu une âme en quête d’absolu. La marche n’était plus pour moi le mouvement indissociable de ma promenade. Mais elle était devenue un besoin vital, le mouvement qui me permettrait d’accéder à cette lumière de plus en plus forte que me présentait l’horizon.
Partir, ce mot me revenait sans cesse, et me guidait dans chacun de mes pas. Il me fallait désormais partir à la recherche de cette montagne inatteignable, celle des contes de mon enfance. Le trajet fut long et la lumière disparut peu à peu, cachée par les différentes cimes qui bloquaient maintenant l’horizon. Mon souffle commençait à me quitter, ma légèreté aussi. La terre était devenue aride et le paysage hostile. Mon avancée autrefois légère se voyait ralenti par ce corps fatigué, mes muscles amoindris par la douleur, elle qui me pétrifiait peu à peu. L’avancée, la montée de cet amas de pierre me poussait au-delà de mes limites. Grimpant et escaladant, je perdais déjà quelques parties de moi, me décharnant petit à petit. Blessé, je ne pensais qu’à une seul chose avancer au plus vite jusqu’au sommet, l’atteindre pour attraper et dompter cette lumière qui allait devenir mienne. La lumière était devenue mon guide, et elle réapparaissait à mesure de mon ascension. D’abord quelques rayons ténus, venu pour m’éclaircir les idées, pour me montrer la voie à suivre. Puis la nuit a laissé place au soleil, lui qui a commencé à se remplir, à reprendre forme. Je ne pouvais plus attendre, je fixais tellement cette lumière, qu’une fois le pied posé en haut j’étais devenu aveugle. Peu à peu handicapé par cette recherche effrénée, je ne savais plus où j’étais. A partir de ce moment, la perte de repère, m’a fait perdre le sentiment d’apesanteur. Mon corps qui s’était autrefois alourdi et endolori, m’apparaissait anesthésié. Je n’étais plus qu’une voix.
Cette voix qui vous chuchote aujourd’hui, celle d’un marcheur déchu, faute de n’avoir pu toucher son guide. Ici, coincé, je ne pense qu’à une chose, que fait la lumière dehors, m’attend-elle ? L’atteindrais-je cette fois-ci ? Car oui il me faut repartir, je ne peux rester enseveli. Le contact de la vie, cette quête je dois la recommencer, sinon pourquoi serais-je encore capable de penser ? Parler de tout cela est vain, il faut le vivre pour le comprendre.
La quête qui m’a amené à la vie, à la douleur et à la mort, ne peut me laisser ainsi. Tout homme se dit un jour que la vérité est atteignable, et mon prochain parcours sera celui de ce lien. Je toucherai la lumière. »